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LE SOLDAT DISPARU

Avant-Première du dernier film de Frédéric Gonseth et Catherine Azad : LE SOLDAT DISPARU
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En octobre, nous roulons avec nos plaques suisses vers Kobeliaki,
une bourgade paysanne à mi-chemin entre Kiev et le Donbass.
Nous y avons nos connaissances, nos amitiés, nouées à la veille
même de l’indépendance il y a trente ans. Et nos obsessions : les
déportés ukrainiens, les prisonniers de guerre soviétiques. Ceux
de la Seconde Guerre mondiale tombés aux mains des nazis nous
ont poursuivis pendant des années. La seule manière d’apaiser
ces millions de fantômes était, croyions-nous, de leur consacrer un
ou deux films. Et puis la musique a pris le relais, les voix dénichées
dans les chaumières de la province de Poltava, la splendeur du
chœur populaire Kalena, avec deux films, 4 CD et une demi-
douzaine de tournées en Suisse...
Mais cette fois, nous ne courons plus après elle, c’est l’Histoire elle-
même qui nous attend au seuil de la chaumière d’Olga. Sa voisine
Iryna a perdu la trace de son fils, un policier reconverti en soldat
deux ans avant l’invasion, et annoncé manquant durant le siège de
Marioupol. Huit mois sans aucune nouvelle d’Olexandr
Sergueyvitch, alors que le premier échange de prisonniers vient
d’avoir lieu. Olga lui a parlé du CICR, elle sait que c’est un peu
notre dada à nous les Suisses et que nous saurons pousser les
recherches... Comment résister aux larmes d’Iryna ?
Nous partons nous renseigner. Auprès du CICR bien sûr. Avec une
équipe de 600 personnes il achemine l’aide par semi-remorques
aux quatre coins des zones sinistrées. Mais peine à enregistrer les
prisonniers de guerre, et encore plus à les visiter. Début avril à
Marioupol, il n’a pu accéder à ceux de l’usine Illitch. Et la dernière
chose que le fils a pu lui dire à sa mère Iryna en mars, c’est qu’il
était retranché dans un sous-sol d’Illitch.
A Kobeliaki, les femmes du marché se mobilisent. En un éclair,
nous avons les adresses des familles de prisonniers de guerre du
district.
Notre tout-terrain slalome entre les nids-de-poule sur les routes
des hameaux où nous attendent Victorya, l’épouse infirmière qui a
quitté Marioupol enceinte et a donné naissance à une fille, et puis
Marharita, la paysanne dont le fils a pu être enregistré par le CICR
mais n’a plus donné signe de vie depuis mai.
Et bientôt s’annoncent les premiers retours de prisonniers de
Kobeliaki et leurs saisissants récits de captivité. Et nous filerons à
Kiev assister à la manifestation des épouses et des mères de
prisonniers de guerre sur la Place Maïdan, au grand défi de la loi
martiale. Et nous accéderons même à des prisonniers russes qui
nous raconteront leurs moments les plus ...difficiles.
L’Ukraine des campagnes sous les sirènes, les coupures de
courant, les enterrements drapés de jaune et bleu, l’acharnement
émouvant des mères et des épouses : ainsi naît un portrait décalé
de ce pays en souffrance, mais d’une étonnante résilience, se
découvrant capable de cohésion militaire tout en restant
terriblement attaché à une démocratie en germe, celle-là même
que le grand voisin est venu lui ravir.

- Frédéric Gonseth et Catherine Azad sont des cinéastes
indépendants domiciliés dans le canton de Vaud. Ils ont porté un
regard personnel sur l’Ukraine et les pays de l’ex-URSS de 1990
à nos jours dans dix films documentaires en coproduction avec la
RTS et avec l’appui des organes publics d’aide au cinéma comme
Cinéforom avec le soutien de la Loterie Romande, et dans le cas
de ce film, de l’Office fédéral de la Culture et du Fonds de
Production Télévisuelle sàrl. Le tournage s’est déroulé en automne
et en hiver 2022-23, il vient d’être achevé et le film d’une brûlante
(comme on dit) actualité est présenté en avant-premières
exceptionnellement dans quelques salles en présence des
cinéastes.